L’alchimie de la pierre – Ekaterina Sedia

L’histoire de cette touchante héroïne sert de prétexte à transmettre un beau message, certes, mais avec la subtilité d’un bulldozer

alchimie_pierreEkaterina Sedia est une autrice russe de Fantasy (écrivant en anglais) vivant aux USA depuis vingt ans. Elle enseigne l’écologie des plantes et la botanique dans le New Jersey. Elle a publié cinq romans, et écrit également des nouvelles et des poèmes. L’alchimie de la pierre est son livre le plus connu. Les illustrations (couverture + intérieures), superbes, sont l’oeuvre de Nicolas Fructus.

Nous suivons une Automate intelligente-consciente, Mattie, dans une intrigue qui sera l’occasion pour Ekaterina Sedia d’examiner tout un tas de problèmes de société, de l’émancipation de la femme au rôle qui lui est attribué dans un contexte pseudo-Victorien caractérisé par sa rigidité en passant par le racisme, la mécanisation des sociétés modernes ou la réaction des gens face aux attentats.

Genre(s) 

L’alchimie de la pierre est présenté par le Belial’ comme un livre Steampunk (et c’est effectivement comme tel qu’il est perçu par certains sites SFFF anglo-saxons de référence), mais pour moi, qui m’intéresse énormément à la taxonomie des littératures de genre, il relève clairement de la Gaslamp Fantasy. Cette dernière adopte ce que l’on pourrait appeler une esthétique steampunk (et Victorienne) sans forcément que l’action se déroule dans notre monde (mais plutôt dans un univers imaginaire), sans qu’il y ait toujours un aspect uchronique, ni obligatoirement de science rétrofuturiste. Par contre, les aspects fantastiques (magie, créatures et races extraordinaires, etc) sont beaucoup plus présents que dans le Steampunk. La difficulté à distinguer, parfois, les deux vient du fait que bien des précurseurs du Steampunk laissaient une place beaucoup plus importante au surnaturel que les livres modernes relevant de ce genre / sous-genre (selon votre conception de la chose) ne le font (le plus souvent).

Alchimie, race de gargouilles intelligentes façonnant la roche par la pensée, lézards hexapodes servant de bêtes de somme, homme accueillant des dizaines d’âmes en peine dans son esprit, monde qui n’est de toute évidence pas le nôtre (et donc absence d’uchronie également), voilà autant de facteurs qui rapprochent plus ce roman de la Fantasy que d’autre chose, non ? Mais bon, comme je le dis souvent, peu importe ce qu’il y a écrit sur l’étiquette du flacon tant que l’ivresse est là, d’une part, et d’autre part, il est plus facile, pour un éditeur, d’employer un terme comme « Steampunk » que le grand public connaît au moins vaguement, qu’un « Gaslamp Fantasy » qui sera moins vendeur et surtout beaucoup moins connu (ma remarque n’a rien de péjoratif, je comprends tout à fait la logique économique et le but d’être le plus simple et direct possible derrière la classification dans ce genre là). Sans compter que la, ou plutôt les définitions du Steampunk sont tellement floues / larges que même un degré significatif de magie / fantastique ne sort pas forcément un roman de ce genre là. J’ai donc décidé… de ne pas décider et, sur mon blog, de classer le roman dans les deux (sous-)genres.

L’ouvrage relève également de la Fantasy of Manners / Manner Fantasy : tous les codes de ce sous-genre sont là, de l’environnement urbain à la structure sociale très hiérarchisée et rigide (mais qui est pratiquement assimilable à un personnage étant donné son importance dans l’intrigue) contre laquelle le protagoniste devra lutter, en passant par le niveau plutôt élevé de langage utilisé.

Ce roman relève (ou plutôt pourrait relever -voir plus loin-) enfin, du fait de la réflexion proposée autour de grands thèmes de société passés ou présents, de cette « Fantasy intelligente » (par analogie à cette branche de la SF qualifiée de la même façon) qui se développe de plus en plus ces derniers temps, dans le sillage d’écrivains comme Ken Liu ou Sofia Samatar, et qui tend à se démarquer de l’aspect divertissement / évasion / aventure (par ailleurs parfaitement respectable) qui caractérisait la majorité du genre jusqu’à présent (à quelques notables exceptions près, d’Ursula Le Guin à Roger Zelazny).

Ressemblances… ou pas

Certains points évoquent la novella L’automate de Nuremberg de Thomas Day, notamment l’importance donnée dans l’intrigue au fait que le mécanisme de Mattie doit être « remonté » (comme pour un réveil à l’ancienne) périodiquement. Quelque part, la raison qu’on devine être celle pour laquelle son créateur a conçu l’automate qui est l’héroïne du roman rappelle très vaguement La fille automate de Paolo Bacigalupi. Enfin, le mélange entre technologie et surnaturel peut éventuellement évoquer Homunculus de James Blaylock.

Par contre, pour celles et ceux qui se poseraient la question, nous ne sommes pas sur les interrogations de certains auteurs de SF sur la psychologie des androïdes, sur une quête pour devenir humain : Mattie ne se considère pas vraiment d’une nature différente de celle des autres femmes, juste constituée de matériaux autres. Elle n’est pas dans une recherche d’humanisation mais d’émancipation (voir plus loin). J’en veux pour preuve ce passage de la page 49 : « Vous vous composez quand même surtout de métal », ce à quoi Mattie répond « Je ne discute pas l’évidence. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec mes sentiments ? ».

Univers

Dans un lointain passé, les Gargouilles, plus nombreuses et plus puissantes qu’aujourd’hui, ont utilisé leurs pouvoirs de maîtrise de la terre afin de commander à la roche pour former la ville où se déroule l’intrigue (son nom ne sera jamais donné). Notez que d’autres villes et pays, d’origine plus banale, existent aussi en parallèle dans ce monde. Des humains ont fini par venir d’y installer, avec la bénédiction des gargouilles. Les descendants des premiers colons forment aujourd’hui la dynastie ducale qui dirige théoriquement la ville. En réalité, c’est un Parlement élu qui possède le vrai pouvoir (le seul rôle utile de la Cour est d’empêcher une guerre civile entre factions en maintenant un équilibre entre elles). Depuis cette époque, les gargouilles, créatures discrètes, se sont mises en retrait, et n’influent en rien dans la politique locale. Elles sont « respectées » (voir plus loin), nourries (de gravier !) et on les laisse tranquille, et ça s’arrête là.

Deux factions se disputent traditionnellement le pouvoir au parlement : les Mécaniciens (traduisez : inventeurs Steampunk classiques, produisant véhicules et machines -dont une véritable IA victorienne appelée le Calculateur-, plus des robots appelés Automates) et les Alchimistes. Pour celles et ceux qui se poseraient la question, oui, il s’agit d’une vraie alchimie surnaturelle, pas d’une chimie scientifique primitive portant ce nom. Au moment où l’intrigue commence, ce sont les Mécaniciens qui sont au pouvoir. Les ferments d’une révolte contre cette alternance (ça vous rappelle quelque chose ?) couvent dans le bas-peuple depuis longtemps, mais ils sont attisés par les événements récents (notamment la décision de remplacer les paysans par des Automates dans les champs, et d’envoyer la main-d’oeuvre ainsi libérée dans les mines, la demande en métaux, charbon et pierres précieuses étant énorme et incessante), et vont bientôt donner lieu à de terribles attentats.

Personnages et intrigue *

Heart-shaped box, Nirvana, 1993.

Outre cet aspect politique et révolutionnaire, l’intrigue suit Mattie, qui est un des rares automates « doués de raison » et émancipés par leur créateur. Tous sont intelligents à un certain degré, mais les modèles normaux n’ont pas vraiment de conscience ou de facultés de réflexion poussées. Ce qui est voulu, cela les empêche de se révolter contre leur servitude. Bref, ils sont quelque part entre ce que les spécialistes en intelligence artificielle appellent les IA faibles et fortes.

Mattie, elle (car oui, c’est un gynoïde -version féminine d’un androïde-), est une personne à part entière : son créateur, Loharri, l’a transformée à un stade donné, lui conférant la raison, puis finissant par l’émanciper. Une émancipation d’ailleurs bien théorique, puisqu’il conserve la clé qui permet de remonter son mécanisme, tâche qui doit être périodiquement accomplie faute de quoi elle cesse toute activité physique et mentale. Ben oui, c’est un robot Steampunk / Gaslamp, hein, pas de cellule nucléaire miniaturisée, de fibre de carbone et de composites ou alliages conçus en gravité zéro, la demoiselle est faite de cuivre, d’engrenages, de bois et de fanons de baleine (pour lui donner une silhouette plus féminine).

Mattie (l’autrice étant russe et le personnage étant, quelque part, une poupée animée et intelligente, je suis quasiment persuadé que ce prénom est une référence aux Matrioshka) est devenue alchimiste. Les gargouilles lui ont confié une mission capitale : trouver un remède au problème de pétrification qui met un terme à leur existence. En parallèle, elle cherchera à obtenir sa clé, et donc une vraie et complète indépendance, et se trouvera impliquée dans la Révolution. Pour mener à bien son contrat, elle devra se rendre auprès du redouté Fumeur d’âmes, qui a absorbé celle de Béresta, une autre alchimiste, formée par le même professeur que Mattie, et qui a jadis travaillé sur ce problème de pétrification, hélas sans laisser de notes.

Cet automate est un personnage assez poignant, bien que je pense que sa nature et son sort final trop stéréotypés, ainsi que l’écriture d’Ekaterina Sedia, aient donné un résultat qui est moindre que ce qu’il aurait pu être. Sa relation, complexe, d’amour-haine avec Loharri est un des points forts du roman. En effet, elle n’arrive jamais tout à fait à le détester, mais même si celui-ci ne la menace pas avec la clé, le simple fait qu’il le puisse s’il en a envie lui suffit à s’en défier. Et c’est là que se trouve son trait de caractère dominant, dans sa volonté de reprendre sa vie (clé ^^) en main.

Les autres personnages sont beaucoup moins développés, à l’exception du Fumeur d’âmes, un homme capable d’accueillir en lui des dizaines d’esprits, soit déjà morts et errant encore sur le Plan matériel, soit qu’il est capable d’arracher directement à leur corps. J’ai beaucoup apprécié ce personnage fascinant.

Notez que les personnages féminins sont particulièrement nombreux (Iolanda, Niobé, Béresta, Ogdéla) et mis en avant dans ce roman, résolument féministe sur le fond et la forme.

Sex in the city *

Borg sex, Joe Satriani, 2000.

Il y a des choses très, très étonnantes dans ce livre, à commencer par un côté glauque qu’on ne s’attend pas forcément à trouver (le Fumeur d’âmes, l’orphelinat, les enfants-araignées, la mutilation de Loharri). C’est plus suggéré qu’explicitement dit, mais la raison pour laquelle Loharri a créé Mattie est plus qu’équivoque, et le personnage, sous des dehors affables, n’est pas vraiment le gendre idéal : il manipule les sentiments de Mattie, la soumettant à un dilemme psychologique entre sa reconnaissance pour le fait de l’avoir créée puis émancipée et ses désirs égoïstes et / ou contre-nature envers elle (y compris dans ce qu’on peut éventuellement analyser comme un aspect… incestueux) . Mais même sur le plan physique, lorsqu’elle était encore à son service, il a souvent fait preuve de cruauté, lui qui prétend l’aimer et la respecter assez pour l’avoir émancipée : songez qu’en matière de punition, il lui arrivait… de lui retirer les yeux. Dès qu’elle obtient sa liberté, cependant, elle met un terme à cette « relation », en lui déniant désormais le droit de la toucher.

Par contre, il y a un aspect qui aurait pu être glauque, ou du moins étrange, et qui, sous la plume d’Ekaterina Sedia (et le fait que nous ayons affaire à un auteur féminin n’y est sûrement pas étranger), donne au contraire un passage étrangement beau : la scène d’amour (d’amour physique, hein) entre Mattie et… mais vous verrez ça en lisant ce livre  😉

Thématiques

Ce qui fait à la fois la force et la faiblesse (je vais en reparler) de ce livre, ce sont les thématiques très profondes qui y sont abordées :

  • Le statut de la femme dans la société : l’autrice fait un parallèle entre les automates et les femmes. Par exemple, p 37, on peut lire qu’il est inutile d’accorder une attention séparée à un automate, qui n’est qu’une extension de son maître : remplacez automate par femme et maître par mari (encore que, est-il vraiment besoin de faire la substitution dans un contexte victorien ?) et vous aurez un exact reflet du (non-)statut de la femme dans un couple dans le regard des personnes extérieures jusqu’à une date effroyablement récente de notre histoire. Un passage, un peu plus loin (p 41) est encore plus explicite : (à propos des femmes) « elles servaient de décor et nul ne leur prêtait attention ». Ou encore, à un moment, on taxe Mattie d’hystérie (à tort), « comme toutes les femmes, de métal ou de chair » (p 127).
  • L’émancipation de la femme (statut dans le couple / la famille) : plus que le statut accordé par le regard des autres, le plus important est celui de la femme (et j’inclus Mattie en tant que telle par rapport à Loharri) par rapport à son mari (ou ici créateur / père ou compagnon). La quête de Mattie pour obtenir une émancipation légale (ce qu’elle a eu), puis réelle (en récupérant sa clé) est au cœur de l’intrigue. L’exploitation de cette thématique montre aussi les ressorts psychologiques (castrateurs ?) de cette mise sous tutelle drastique des épouses ou filles (et ici, créations mécaniques), comme le prouve la p 60 : « Vous estimez peut-être que quiconque refuse d’être votre esclave vise à devenir votre maître ? ».
  • L’esclavage, le servage : le sort des automates basiques (non doués de raison) n’est qu’un reflet des serfs et esclaves humains de notre Histoire, ou du « servage économique » de ces serviteurs obligés d’accomplir des tâches difficiles en traitant comme des seigneurs féodaux leurs employeurs, caractéristique de l’ère Victorienne. La raison pour laquelle personne n’aime fabriquer d’automates doués de raison (comme Mattie) est qu’ils font justement de mauvais serviteurs : on leur donne donc juste l’intelligence nécessaire à l’accomplissement de leurs tâches, pas celle requise pour se poser des questions.
  • Le racisme et la stigmatisation : il arrive que certains traitent les automates, même doués de raison, même émancipés, de « Ferraille », terme clairement raciste dans le roman. De plus, lorsque des attentats commencent à se produire, les rares Orientaux qui habitent la ville sont aussitôt et systématiquement stigmatisés, même lorsque Mattie certifie (p 127) que l’un d’entre eux, désigné comme l’auteur d’une attaque contre le cortège du Duc, n’est pas le vrai coupable, qu’elle a vu.
  • L’égoïsme / individualisme dans les sociétés modernes : p 64 « faut-il un désastre pour nous rassembler ? Sommes-nous si égoïstes, si recroquevillés sur nos petites vies personnelles ? Cette société a-t-elle encore une raison d’exister ? », le désastre en question étant les attentats qui frappent la cité.
  • La réaction des gens face aux attentats : cf ci-dessus, et p 123 (en gros, « la vie continue »). Voilà un thème qui ne peut évidemment qu’être propice à la réflexion compte tenu du contexte actuel, particulièrement en France. Y compris via cette remarque (p 153) : « Les gens ont peur. Ils ont besoin de victimes expiatoires », qui renvoie aux thématiques de stigmatisation et de racisme.
  • Les changements de paradigme économique et technologique, la mécanisation des sociétés modernes, l’emploi de travailleurs étrangers : paysans s’en prenant aux automates (qui ne sont d’ailleurs pas les décisionnaires) pour leur avoir pris leur emploi dans les champs et les avoir de fait poussés dans les mines, travail des Orientaux dans la ville (« Vous chanteriez un autre air si les vôtres perdaient leur travail au profit des étrangers ! », ce à quoi est répondu « les vôtres perdent le leur au profit de vos machines. Vous préférez la mécanisation et l’efficacité au bonheur de votre peuple… et vous vous étonnez qu’il le prenne mal ? »).
  • La lutte des classes : un enjeu de la Révolution est de rendre les terres aux paysans, d’améliorer les conditions de travail dans les mines.

Bref, comme vous le voyez, le roman est très riche, et mérite bien, de par la profondeur des thématiques proposées, sa qualification de Fantasy (ou de Steampunk, peu importe) « intelligente ». Ou du moins, il l’aurait méritée si ces thématiques avaient été présentées avec un peu plus de subtilité.

Mes problèmes avec ce roman

Soyons clair : c’est un livre incontestablement intéressant, mais par contre, à titre personnel (et j’insiste là-dessus : je n’en fais pas une généralité, cela m’est sans doute propre et ne posera pas de souci à d’autres types de lecteurs), il m’a posé divers problèmes, notamment par rapport à certaines déclarations de la quatrième de couverture :

  • « Un récit d’aventure poignant » : clairement pas, non. Poignant, il l’est presque, d’aventure, certainement pas. Il y a soit un faux-rythme, soit pas de rythme du tout : il se passe des choses, certes, mais cela tient plus de la liste de courses que de l’immersion digne d’un thriller (ce que ce roman ne prétend pas être, toutefois). Idem pour le côté poignant : certes, on a une forte empathie pour Mattie, mais sa nature et son histoire (et le côté créature de Frankenstein qui se retourne contre le Créateur) sont si stéréotypées qu’un vieux briscard de la SFFF / Steampunk a du mal à vraiment être pris aux tripes. Pour tout dire, sur des thématiques connexes, on est très loin (moi, en tout cas) de Mes vrais enfants, sans pour cela que L’alchimie de la pierre soit mauvais, juste pas au même niveau.
  • « un roman enchanteur », « porté par une langue raffinée » : pareil, pas vraiment, non. J’ai trouvé l’écriture morne (je parle de l’autrice, hein, la traduction de Pierre-Paul Durastanti est comme d’habitude presque parfaite -à deux énormes coquilles près-), la ville et la plupart des personnages (à part Mattie) sans-âme, absolument pas immersifs. Malgré 250 pages de texte à peine, le roman est trop long, trop plat, et perd beaucoup de l’impact qu’il aurait pu avoir sous forme courte, longue nouvelle ou novella.
  • La fin est ultra-prévisible : l’intrigue aurait énormément gagné à ménager un coup de théâtre final inattendu.
  • L’aspect « roman à message » (idéologique / politique) très, très présent va être très polarisant, d’autant plus que malgré l’importante présence d’éléments fantastiques (présence que je n’attendais pas à ce niveau là et qui m’a très agréablement surpris) et de science rétrofuturiste, on peine parfois à se rappeler que c’est bel et bien à un roman SFFF / Steampunk qu’on a affaire. C’est loin d’être aussi prononcé que dans le recueil Infinités de Vandana Singh, mais l’aspect « à message » et l’aspect « SFFF » ne sont pas aussi bien mêlés que dans le roman de Jo Walton que je citais plus haut.
  • Et enfin, l’aspect qui m’a, et de loin, le plus gêné : le manque de subtilité dans la façon de délivrer ledit message. Au lieu de faire appel à l’intelligence du lecteur, de le conduire subtilement à faire les parallèles qui s’imposent et à trouver / comprendre les allégories utilisées, Ekaterina Sedia balance son message tel quel, sans « camouflage », sans traduction ou effort à faire, boum, dans ta face. J’en veux par exemple pour preuve le parallèle, évident, entre le statut et le comportement des femmes et celui des gargouilles dans cette ville / société (p 158) : au lieu de le dire explicitement, il aurait été beaucoup, mais alors beaucoup plus pertinent de laisser le lecteur tirer lui-même les conclusions qui s’imposaient à coups d’allusions subtiles. Sauf que l’autrice y va au bulldozer, la subtilité, connaît pas. Ou alors, c’est qu’elle prend son lecteur pour un con. Tout le monde ne s’appelle malheureusement pas Egan ou Watts, hein. Bref, j’ai détesté qu’on ne fasse pas appel à mon intelligence mais qu’on me délivre le message tout cuit dans le bec. Ce qui explique, entre ce manque d’effort demandé et le ton morne, le rythme plat, mon relatif désintérêt progressif pour les événements, ayant hâte d’en arriver à cette fin ultra-prévisible pour passer à autre chose.

En conclusion

Ce roman de Steampunk ou de Gaslamp Fantasy (c’est vous qui voyez) possède un beau fond centré autour de thématiques de société (les principales étant le statut et l’émancipation de la femme ainsi que le racisme), fond malheureusement gâché par un manque flagrant de subtilité dans la délivrance du message porté. Si le personnage central, une automate intelligente (elle est de sexe féminin), est intéressant et touchant, il aurait pu l’être plus si sa nature et sa destinée n’étaient pas si stéréotypées et prévisibles, et si l’écriture, la ville et l’ambiance créées n’étaient pas aussi mornes. Le rythme plat n’arrange, de plus, pas les choses (cette histoire aurait beaucoup gagné à être racontée sous forme courte, nouvelle ou novella). Malgré tout, si vous vous attachez plus au fond qu’à la forme, ce roman a tout pour vous plaire, à commencer par la pertinence des thèmes de société abordés et par son univers qui mêle science rétrofuturiste, alchimie et créatures fantastiques. De plus, la dynamique, la dualité et la complexité des relations créature / créateur est assez remarquable.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Blackwolf, celle de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls, de Boudicca sur le Bibliocosme, d’Owly shit!, du Chroniqueur, d’Elhyandra,

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27 réflexions sur “L’alchimie de la pierre – Ekaterina Sedia

  1. Je l’avais repéré depuis un moment celui-là. Même si tu es un peu mitigé, ta critique me donne envie de le découvrir : je vais essayer de faire un petit tour en librairie la semaine prochaine ^^ Merci !

    Aimé par 2 personnes

    • Merci Pierre-Paul. J’aurais aimé que ma critique soit moins en demi-teinte (même si j’ai clairement apprécié le fond et certains points de la forme), car si j’ai bien saisi, tu ne t’es pas contenté de le traduire, c’est aussi toi qui l’a proposé à Olivier Girard. J’imagine donc que sa réussite te tient à cœur.

      J’aime

      • D’abord tu n’as jamais à t’excuser d’être sincère ; ensuite, bien sûr, je soutiens le livre, et s’il a quelques défauts, ce que je ne nie pas, je considère que ses qualités les rachètent. Il s’agit d’une traduction commencée pour un autre éditeur, qui a arrêté la collection où il devait paraître ; j’ai terminé mon travail dessus et j’ai soumis le manuscrit à trois éditeurs. L’un a apprécié sans plus ; l’autre ne savait pas comment le vendre ; Olivier, au Bélial’, l’a beaucoup aimé et a dit banco. C’est un texte que j’ai apprécié de traduire ; ainsi, j’adore tous les passages présentant le point de vue des gargouilles, la scène de sexe, tout ce qui concerne le Fumeur d’âmes, et j’aime Mattie, y compris dans ses relations avec les autres protagonistes. Oui, c’est un livre militant, mais je range plutôt ça parmi ses atouts. 😉

        Aimé par 2 personnes

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