Magie des renards – Kij Johnson

Une délicate histoire d’amour à l’atmosphère poétique, mythique, folklorique, onirique et… Lovecraftienne ! 

magie_renards_kij_johnsonJe vous en parlais récemment sur la page Facebook du blog, le Belial’ a décidé, en prélude à la parution de la novella Un pont sur la brume (dans sa récente collection « Une heure-lumière » dédiée au format court), de vous permettre de découvrir l’auteure (Kij = Katherine Irenae Johnson) en mettant gratuitement à votre disposition jusqu’à la fin du mois d’août 2016 la nouvelle Magie des renards sur son site.  C’est de ce texte, lauréat du prix Théodore Sturgeon en 1994, dont je vais vous parler aujourd’hui. Signalons pour finir que si vous voulez poursuivre plus loin la découverte (gratuite) de cet écrivain, le Magazine Angle Mort a publié deux autres nouvelles, Mêlée dans le n°3 et Poneys dans le n°7.

Mais d’abord, deux mots sur Kij Johnson : avec trois romans et une cinquantaine de textes courts au compteur, il s’agit d’un auteur plutôt prolifique. La dame a également eu une florissante carrière en tant qu’éditrice dans des maisons prestigieuses, telles que Tor Books, TSR (la société responsable de la publication des premières éditions de D&D), Dark Horse Comics et même Microsoft. Chez TSR / Wizards of the Coast, elle a notamment été impliquée à haut niveau dans le jeu de cartes Magic et dans les lignes Greyhawk (le monde conçu par Gary Gygax himself) et Les Royaumes Oubliés (Forgotten Realms). 

L’histoire se déroule dans un Japon où les entités spirituelles des mythes sont une réalité, qui est toutefois cachée, d’ordinaire, aux yeux des mortels (cette nouvelle relève donc du genre Fantastique). Elle suit une nogitsune, une renarde au haut degré de conscience, d’intelligence et d’illumination spirituelle dotée, comme tous les Kitsune (esprits-renards), de pouvoirs surnaturels, notamment la capacité de générer des illusions, d’altérer le rythme auquel le temps passe et surtout, celle de changer de forme pour prendre l’apparence d’une superbe jeune femme humaine. Elle va user de ce pouvoir pour conquérir le cœur du maître de la maison près de laquelle sa famille vit, un homme dont elle est tombée éperdument amoureuse.

Il s’agit d’un très beau texte (magnifié par la traduction de la toujours impeccable Mélanie Fazi), poétique, sensible, avec un traitement subtil de la psychologie des personnages. L’ambiance me paraît fort bien respecter le parfum assez unique de la civilisation, de la poésie, des mythes et du folklore japonais, et sonne donc très juste. Si vous êtes un amoureux de cette culture, vous devriez donc trouver votre bonheur avec ce texte, qui donne de plus un aperçu à mon avis très net des qualités d’écriture de l’auteure.

L’atmosphère est également assez onirique, dans une optique qui m’a (de façon assez surprenante) fait penser à un texte de Lovecraft, Celephaïs. Alors que l’humain Kaya no Yoshifuji croit vivre, dans son monde d’illusions et d’onirisme éveillé, treize ans d’une vie fastueuse aux côtés de sa nouvelle épouse (qui est en fait la renarde), il passe en réalité treize jours dans la crasse, des haillons, à boire une goutte d’eau de pluie lorsqu’il croit savourer du saké et à manger un petit bout de souris lorsqu’il pense déguster un festin. Il y a là un décalage à la fois dans la perception temporelle et dans le contraste faste de la vie onirique / déchéance dans la vie réelle qui évoque très fortement le texte de Lovecraft (ou un texte, antérieur d’une dizaine d’années à celui de Lovecraft, de Lord Dunsany).

Au final, il s’agit d’une jolie histoire d’amour (tragique), contée d’une belle plume sur un ton poétique et onirique, puisant son inspiration dans les mythes et le folklore japonais, mais qui réserve également un aspect nettement plus trouble. La fin, sans concessions, est, je trouve, très réussie. C’est donc un texte très recommandable dont il s’agit, dans une veine Fantastique et onirique qui rappelle vaguement, dans le ton plus que dans les thèmes, Vandana Singh ou Sofia Samatar. Amateurs de soft-SFFF, réjouissez-vous, voici une nouvelle étoile de cette constellation à découvrir. Vous pourriez tenter de dégager un message dans ce texte (une allégorie des mariages mixtes et des difficultés qu’ils peuvent entraîner dans une société pas franchement tolérante ? Une parabole sur les amours impossibles ?), mais franchement, faites comme moi : vivez-le, tout simplement.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette nouvelle, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Fourbis et têtologie,

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14 réflexions sur “Magie des renards – Kij Johnson

  1. Je suis sur le point de la lire cette nouvelle. Ton enthousiasme est contagieux. J’espère ne pas être déçue, la dernière nouvelle que j’ai lu de l’auteur m’a laissée de marbre.
    J’ai des difficultés de connexion depuis que j’ai changé le logo..

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        • Non, à mon avis ça n’a pas forcément grand-chose à voir avec le nombre / fréquence des messages, contrairement à ce qu’on pourrait logiquement penser. Le terme d’antispam est trompeur, en fait il cherche les messages devant être modérés en général. Etant donné qu’au milieu des faux-positifs il y en a parfois de vrais (encore un hier), j’ai l’impression que dès qu’il repère un vrai message digne d’être modéré, il est plus strict sur les messages suivants. Comme s’il passait d’un mode d’alerte à un autre, plus restrictif, en fait. Deuxième point que j’ai remarqué : il n’aime pas les gens qui utilisent plusieurs pseudos / avatars / adresses mail pour poster avec la même adresse IP. C’est arrivé à Yoda l’autre jour, elle a utilisé trois pseudos + avatars différents pour poster sur 2 sujets distincts, et passé un certain point, tout a été mis en attente d’approbation.

          Mais bon, c’est une remarque générale, valable pour tout le monde : il ne faut pas hésiter à poster des commentaires, que ce soit par rapport à Akismet ou pour une autre raison. Vos commentaires auto-modérés ne disparaissent plus depuis que j’ai changé les réglages du blog, ils sont juste « invisibles » et en attente d’approbation de ma part. Premier point.
          Deuxième point, il ne faut pas hésiter à donner des retours sur le fond ou la forme des critiques, ça m’est potentiellement très utile. Après, j’en tiens compte ou pas, c’est une autre question, mais au moins ces retours sont là si le besoin d’ajuster le tir se faisait sentir.

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          • Je comprends bien mieux. J’ai changé un peu de fonctionnement global. En fait, je suis en train de tout « rationaliser » . Comme j’ai trois sites dont 2 blogs, je suis dans la logique d’affecter une adresse mail différente à chacun car les sujets n’ont rien à voir les uns avec les autres.
            Auparavant, ce n’était pas la cas. Puisque tout se regroupait sous mon identité propre… j’avais un blog fourre-tout : livres, actualités sportives, peinture, musique… le b****!

            J’ai donc créé une adresse mail, un avatar et même un compte twitter et google+ pour Albédo.
            Mon site consacré aux abeilles et l’apiculture a une vocation à moyen terme à passer en site marchand pour vendre les produits issus de mes ruches. Il se doit donc d’être différencié de mon blog SFFF.
            Le site Loet it bee ( toi, l’amateur de musique reconnaîtra le clin d’oeil) a donc maintenant une adresse mail et un avatar propre. Je pense créer un compte fb et youtube spécifique pour l’apimonde.

            Ensuite, il y a mon site aquarelle qui est en stand bye en raison des gros chantiers liés aux deux autres ( car, il y a aussi beaucoup de boulot extérieur avec les abeilles).

            Je m’interroge beaucoup au niveau de mon compte fb perso, ce n’est sans doute pas l’idéal de communiquer avec son identité, encore que dans le monde sfff, je crois qu’il n’y a pas top de quoi s’inquiéter ?…

            Pour un retour sur le fond et la forme.
            Le fond je suis totalment convaincue par tes critiques, j’adore ta dissection qui correspond parfaitement à mes critères ( l’univers, les perso, le style et rythme). Du coup, j’adore…
            Pour la forme, les accords musicaux sont un coup brillant qui donnent vraiment le ton du livres. J’aime bien les images de temps à autre, mais ce n’est vraiment qu’accessoire (désolée 😉 ).

            Ton changement de bandeau correspond sans doute davantage au titre de ton blog, j’aimais bien la vue pyramidale quand même.

            En revanche, je ne suis pas fan des blogs tout blanc…. sorry

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            • (le loet it bee, du jour où j’ai compris le « loet », j’ai trouvé ça absolument génial).

              Concernant le compte FB, j’ai choisi de créer une page en tant que Blogueur, sous pseudonyme, afin justement de séparer ma vie privée et mon activité, par essence publique, de blogueur. C’est la logique qui a prévalu au fait d’écrire sous pseudonyme, et je la suis jusqu’au bout. Quand je vois une réaction en particulier à une de mes critiques, je n’ai aucune envie que mon nom et ma localisation soient de notoriété publique.

              Concernant la forme des articles, il m’a semblé comprendre que certains (je parle en général, pas forcément au niveau des lecteurs du Culte d’Apophis) trouvaient le découpage en parties thématiques (univers, narration, style, personnages, etc, plus une conclusion) trop « scolaire », voire maladroit. Je le précise tout de suite : la forme de mes articles ne changera pas à ce niveau. Mes critiques sont très longues, il me paraît inconcevable de balancer tout le texte sans le structurer un minimum (et effectivement, les images n’ont absolument pas vocation à être présentes dans chaque critique, ce qui fait donc qu’elles ne peuvent pas être utilisées comme élément de structure, juste esthétique). De plus, cela permet au lecteur de repérer et de passer les points qui ne l’intéressent pas. Je suis évidemment ouvert aux suggestions sur la forme des articles, mais ce point là, je le répète, ne changera pas, d’autant plus que justement, il participe à l’identité, voire la singularité du blog.

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  2. Ping : Un pont sur la brume – Kij Johnson | Le culte d'Apophis

  3. « Alors que l’humain Kaya no Yoshifuji croit vivre, dans son monde d’illusions et d’onirisme éveillé, treize ans d’une vie fastueuse (…) il passe en réalité treize jours dans la crasse, des haillons, à boire une goutte d’eau de pluie lorsqu’il croit savourer du saké et à manger un petit bout de souris lorsqu’il pense déguster un festin » : c’est de ça que Jack Vance a dû s’inspirer pour le premier chapitre de « Cugel l’Astucieux »…
    Mais si cette nouvelle, comme j’ai cru comprendre, est du point de vue d’un être surnaturel et que j’ai bien compris tes définitions, ce ne serait pas du réalisme magique plutôt que du fantastique ? Je dois sans doute me tromper…

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    • Vu que Cugel est antérieur de 30 ou 40 ans à cette nouvelle, ce serait étonnant 😀 . Ou alors tu parlais de Dunsany et Lovecraft ? Quoi qu’il en soit, je ne saurais te le dire, malgré de multiples essais, je suis allergique à la prose de Vance, elle m’ennuie profondément (à part une nouvelle qui parlait de l’élection de Miss Univers).

      Relis la critique, je m’auto-cite (c’est très mal…), début du troisième paragraphe : « L’histoire se déroule dans un Japon où les entités spirituelles des mythes sont une réalité, qui est toutefois cachée, d’ordinaire, aux yeux des mortels (cette nouvelle relève donc du genre Fantastique). « . Dans le Réalisme Magique (qui, pour moi, n’est qu’un autre nom pour une forme de Fantasy Historique, voire d’Urban Fantasy), la présence et les manifestations du surnaturel n’étonnent personne, elles sont mises sur le même plan que les phénomènes naturels. A partir du moment où il y a révélation d’un phénomène surnaturel normalement caché ou inconnu, on ne peut pas être sur du Réalisme Magique.

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  4. Ping : La quête onirique de Vellitt Boe – Kij Johnson | Le culte d'Apophis

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