L’empire d’ivoire – Naomi Novik

Dogons & Dragons

empire_ivoireCe tome 4 du cycle de Téméraire est la suite directe du précédent (= il n’y a pas de temps mort du genre « après quelques semaines de repos, Téméraire et Laurence… »). Nous sommes immédiatement projetés dans l’action, alors que Téméraire, surchargé de soldats Prussiens, tente de rejoindre la côte écossaise, harcelé par des dragons français. Une fois parvenu à bon port, Laurence découvre pourquoi les Aerial Corps n’ont pas envoyé les dragons promis aux Prussiens : une maladie fait des ravages parmi ces derniers (ce n’est pas un spoiler, c’est expliqué sur la quatrième de couverture et très tôt dans le roman). Et devinez qui va être envoyé en Afrique pour trouver un remède ?

Ne faisons pas durer le suspense : malgré quelques défauts, ce quatrième volume se révèle prenant (c’est celui des 4 premiers tomes que j’ai lu le plus rapidement), et surtout, il ménage une fin absolument explosive qui va littéralement tout changer pour nos deux héros, l’humain et le dragon.

Alerte ! 

Alors que Laurence se pose enfin au pays, sa première pensée est de se demander pourquoi diable aucune des autres feignasses de dragons n’est venue au secours des Prussiens sur le continent (dans le tome 3) ou au sien lors des attaques françaises à proximité des côtes écossaises. En fait, la fainéantise n’y est pour rien : une saleté de virus a foutu tout le monde KO, voire même kaputt pour de bon. On s’attend presque à voir Dustin Hoffman descendre d’un hélicoptère en combinaison NBC…

Ce début de roman fait la part belle aux mesures anti-contamination, aux dragons à la mine hagarde poussant quelques toussotements pitoyables, aux capitaines inconsolables d’avoir perdu leur compagnon, et ainsi de suite, et tout ça avec Napoléon qui peut débarquer d’une minute à l’autre s’il a vent de la situation (que les Aerial Corps s’évertuent à cacher à tout le monde, y compris à la population et aux dragons-éclaireurs français). Le seul rempart contre tout ça est Téméraire et la bande bigarrée de dragons sauvages ramenés du Pamir dans le tome précédent.

Et c’est là que le lecteur averti, qui a lu ma critique du tome 2, se souvient que Téméraire a été affligé d’un gros rhume, qui a guéri après son séjour au Cap. Mais, mais… il y a peut-être un remède là-bas ! Notre dragon préféré embarque alors sur l’H.M.S. Allegiance avec toute la formation de Lily, histoire d’aller chercher la substance qui guérira tout le monde là-bas.

Évolutions, uchronie et thèmes

Les personnages secondaires et tertiaires évoluent, dans un esprit que je trouve, encore une fois, similaire à celui de la saga Honor Harrington : les anciens seconds deviennent capitaines de leur propre vaisseau pardon dragon, les p’tits jeunes prennent du poil au menton et passent Lieutenant, et ainsi de suite. Mais l’avancement qui marque le plus dans ce tome 4 est bien entendu celui de Jane Roland, qui passe carrément Amirale. Personnellement, j’aime beaucoup ce type d’évolution des seconds rôles, car il donne le sentiment d’un monde vivant, non-figé, qui change au fur et à mesure du temps.

Il faut remarquer que toute évolution ne se fait pas toujours en bien, hélas : l’ancien Second de Laurence, et actuel Capitaine de l’Allegiance, Riley, devient de plus en plus antipathique au fil des tomes, même si le voyage de retour le montre sous un jour un poil plus flatteur. Et puis évidemment, il y a Lord Allendale, le papa de Laurence, toujours aussi imbuvable.

Pour en finir avec le volet « personnages déjà connus », Tharkay fait une apparition dans la première partie, et Iskierka fait des débuts flamboyants dans les Aerial Corps (dans la dernière partie du roman). On se délecte à l’avance de sa présence de toute évidence accrue dans les tomes suivants. D’autant plus que la demoiselle promet d’être particulièrement redoutable : elle crache le feu deux fois plus loin qu’un Flamme-de-gloire Français, rendez-vous compte !

L’aspect uchronique est particulièrement poussé en ce début de tome 4 : nombreuses apparitions d’Horatio Nelson (alors que nous sommes en 1807, c’est-à-dire 1 an et demi après sa mort lors de la bataille de Trafalgar dans notre Histoire), et surtout échec de la motion visant à l’abolition de la Traite portée par William Wilberforce. D’ailleurs, Nelson porte une lourde responsabilité dans ce revers. Remarquons au passage que pour du Young Adult, le sujet est traité avec d’assez amples détails, pas au niveau d’un David Weber, évidemment, mais d’une façon tout de même plutôt solide. Ce thème s’inscrit d’ailleurs tout à fait dans la continuité du tome 2, où il avait déjà été abordé.

Toujours au chapitre « thèmes adultes », la place de la mère célibataire dans la société Georgienne sera abordée dans la partie Africaine du livre, ainsi, au passage, que l’iniquité des lois sur l’héritage. Et puis évidemment, Téméraire et Laurence poursuivent leur combat pour les droits des Dragons en Angleterre, une noble cause qui rencontre bien peu d’écho auprès de la hiérarchie et des hommes politiques et qui est une allégorie des droits de la femme, de l’enfant, de l’homme de couleur ou de l’esclave, évidemment.

Je vais anticiper un peu sur la fin du livre, mais cette dernière offre une très belle réflexion sur la notion de moralité dans une guerre (l’utilisation, pertinente sur le plan stratégique, d’une arme biologique, est-elle acceptable sur le plan moral pour des hommes et des femmes de bonne volonté ?), ainsi que sur celles de devoir et de sacrifice. Je ne vais pas vous donner plus de détails pour ne pas vous gâcher certaines surprises, mais cette fin très réussie rend ce tome 4 tout à fait incontournable.

Cap sur l’Afrique *

Africa, Toto, 1982 (ici version Live de 2014).

Première remarque : Naomi Novik a su éviter en partie les redites avec le tome 2 ; la description du voyage en lui-même (aller ou, et c’est la nouveauté, retour, et ce dans le même tome) est très réduite, même si les péripéties vécues sur place (en Afrique) ne représentent pas beaucoup plus de pages que celles vécues en Chine dans Le trône de jade (environ 205 pages contre 170). De plus, alors que ce dernier était construit sur le modèle intro en Angleterre –> voyage (long) –> péripéties en Chine, ce tome 4 adopte un modèle assez différent : (longue) intro en Angleterre –> (court) voyage aller –> péripéties en Afrique –> (très court -en terme de nombre de pages-) voyage retour –> (longue) outro en Angleterre. Il y aura un dernier petit voyage, que je vous laisse découvrir par vous-même.

Une fois arrivés au Cap, Laurence et son cuisiner chinois essayent de retrouver l’aliment miraculeux qui a guéri Téméraire lors de leur précédente visite. Une fois celui-ci identifié, ils essayent d’en trouver des quantités significatives, histoire de guérir toute la formation de Dragons. Le seul problème est que l’aliment en question est très difficile à trouver, ce qui va inciter ceux qui le peuvent à s’enfoncer dans les terres pour en trouver plus. Ce qui, comme vous vous en doutez probablement, va se révéler être une très, très mauvaise idée.

Lost *

Scatterlings of Africa, Johnny Clegg & Savuka, 1987.

Sans trahir un gros secret, nos héros vont se retrouver très loin du Cap, dans un étrange et formidable royaume Tswana établi dans la gorge où se jettent les chutes Victoria. Si jusque là, Naomi Novik avait introduit les dragons dans les civilisations existantes de façon mesurée et logique, elle se lâche complètement sur ce coup là, avec un décor qui ne dépareillerait pas du tout dans une fantasy classique. Il est malgré tout intéressant de voir le comportement des dragons africains, qui s’érigent en protecteurs non seulement de leur capitaine et de leur équipage, mais de tribus ou nations tout entières. D’ailleurs, ils se considèrent / sont considérés comme les aïeuls réincarnés des membres humains des clans, et une dragonne est à la tête de la nation concernée.

Le retour au Cap donne lieu à une bataille pour le coup complètement uchronique entre Tswanas (et leurs dragons) et colons hollandais / britanniques. Bataille épique, très prenante, qui se soldera par le départ, la queue entre les jambes, de l’H.M.S. Allegiance. D’ailleurs, le voyage de retour joue à fond la carte de l’uchronie, puisque les assaillants mènent des expéditions punitives anti-esclavagistes qui se soldent par la destruction parfois totale des ports de Luanda et Benguela (en Angola) et de Cape Coast (au Ghana). Les Tswanas et leur royaume font d’ailleurs l’objet du désormais traditionnel petit appendice qui se trouve en fin de volume.

Puisqu’on parle d’uchronie, lors de la scène de l’audition devant les Lords de l’Amirauté, Naomi Novik donne, mine de rien, une clef capitale de compréhension de la construction de son univers : en effet, si certaines grandes puissances ou événements sont différents (citons l’existence d’un Empire Inca au 19ème siècle ou une puissance de l’Espagne moindre que dans notre propre histoire), c’est que la simple existence d’une force de dragons un minimum organisée à permis à certains peuples d’être préservés de l’impérialisme et du colonialisme européen. L’auteure explique d’ailleurs par ce biais l’incident de Roanoke (un point que je trouve très bien trouvé et particulièrement habile).

Bien que le fait que l’auteure colle moins à la réalité historique dans sa manière d’introduire les dragons dans la société x ou y m’ait un poil dérangé (j’avais trouvé que l’insertion des dragons dans la société chinoise ou prussienne avait été réalisée avec beaucoup plus d’habileté, de naturel et de logique), cette partie reste très prenante, avec beaucoup d’action, de suspense et d’exotisme. De ce point de vue là, elle est réussie.

La partie du livre qui se déroule en Afrique est aussi l’occasion d’introduire quelques nouveaux personnages intéressants, comme Erasmus et surtout son épouse, ou comme les dragons africains Kefentse ou Mokhachane. Dragons qui, comme souvent (pour ne pas dire toujours) dans la saga, volent complètement la vedette aux personnages humains.

Un bon tome, mais des redites gênantes

Globalement, il s’agit d’un tome qui fait la part belle à l’émotion, au suspense, à l’action et à l’exotisme, et qui est prenant et réussi. Pourtant, il révèle une récurrence qui n’est pas exempte de défauts : une structure se dessine en effet, applicable aux tomes 2-4 et, on le devine, à la quasi-totalité des suivants. Prenez n’importe lequel des tomes 2-4, et vous retrouvez en effet le même plan : une mission est donnée par l’Angleterre (retour de Téméraire vers la Chine dans le tome 2, prendre au passage des œufs de dragons vitaux pour l’effort de guerre à Constantinople dans le tome 3, ramener d’Afrique un remède vital lui aussi pour la poursuite des hostilités dans le tome 4), impliquant un voyage vers / au travers de contrées exotiques, impliquant Téméraire et éventuellement sa formation. Le corollaire est que chaque tome devient partiellement prévisible, et que cela peut mener à la lassitude du lecteur.

De plus, les redites ne s’arrêtent pas là : les aperçus de l’éducation de la jeune Iskierka donnés dans la première partie, par exemple, sont de forts échos de ceux de l’éducation de Téméraire dans le tome 1 (du genre « non, on ne peut pas obéir qu’aux bons ordres » -traduisez ceux qui plaisent au dragon-).

Certes, Naomi Novik introduit des variations (dans la longueur -en terme de nombre de pages- du voyage), certes, il y a une évolution des personnages (dans la vision de la place des dragons dans la société de Laurence, par exemple), mais ce genre d’impression de tourner en rond est, à mon avis, très dangereuse, surtout pour une saga qui compte autant de tomes que celle de Téméraire. Si le tome 5 tranche un peu avec ce schéma répétitif, en revanche ce dernier fait son retour dans les tomes 6, 7 et 8 (avec respectivement des voyages en Australie, en Amérique du sud et au Japon / en Russie).

En conclusion

Ce tome 4 est relativement complexe à juger : s’il comprend des redites ou schémas répétitifs par rapport aux autres tomes (on donne à Laurence une mission, qui l’entraîne vers des terres lointaines et exotiques), il n’en reste pas moins très intéressant, surtout au niveau de ses dernières dizaines de pages qui se révèlent extrêmement prenantes et annoncent un énorme changement de paradigme pour Laurence et Téméraire dans le tome 5. Il y a beaucoup de rebondissements, beaucoup d’action, d’émotion, et de nombreuses et nettes évolutions du côté des personnages secondaires. Les nouveaux personnages, humains ou dragons, se révèlent intéressants, avec plusieurs « invités de marque », dont Horatio Nelson, William Wilberforce et un autre dont je ne peux vous parler sans spoiler.

La partie africaine fait la part belle à un côté uchronique nettement plus prononcé que dans les tomes précédents, offre une vue sur une civilisation Tswana très intéressante, et réserve quelques scènes d’action trépidantes. Une fois de plus, nous faisons connaissance avec une nation qui, après la Chine et la Prusse, a une manière tout à fait différente d’insérer les dragons dans sa société par rapport à celle pratiquée par l’Angleterre (qui, sur l’ensemble du cycle, si elle ne se révélera pas la meilleure, ne sera toutefois pas la pire).

Au final, j’ai trouvé ce tome 4 globalement (et je dis bien globalement) meilleur que les tomes 2 et 3, même si j’ai beaucoup aimé la partie Prussienne de ce dernier. La fin explosive (quel magistral cliffhanger ! ) donne clairement envie de se jeter immédiatement sur le tome 5, qui n’est malheureusement prévu dans mon programme que durant la deuxième quinzaine… d’octobre. Argh. Ça va être long…

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous invite à lire les critiques suivantes : celle de Boudicca sur le Bibliocosme, celle de Lutin sur Albedo,

Ce livre est le quatrième tome d’un cycle : vous trouverez sur Le Culte d’Apophis les critiques du tome 1, du tome 2, du tome 3

 

9 réflexions sur “L’empire d’ivoire – Naomi Novik

  1. Ping : Par les chemins de la soie – Naomi Novik | Le culte d'Apophis

  2. Ping : Le trône de jade – Naomi Novik | Le culte d'Apophis

  3. Ping : Les dragons de Sa Majesté – Naomi Novik | Le culte d'Apophis

  4. Ping : Téméraire, tome 4 : L’empire d’ivoire | Le Bibliocosme

  5. Inutile de dire que je compte continuer la suite des tomes de Téméraire. J’ai beaucoup aimé le premier que j’ai découvert grâce à toi. Je me suis lancée dans le second tome, mais je l’ai laissé de côté pour l’instant ( en raison des challenges estivaux ) pour me consacré à mon petit programme de lecture… et oui, cela m’arrive!
    J’ai également changé mon avatar, plus en relation avec la SF que ma petite abeille!

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