Le château des millions d’années – Stéphane Przybylski

Flou artistique

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Remarques préliminaires : il faut bien situer ce à quoi nous avons affaire avant de le critiquer. Il s’agit du plus gros tirage initial de l’histoire du Belial (5000 exemplaires), surtout lorsqu’on sait qu’il s’agit du premier roman de l’auteur.

Attention, premier roman mais pas premier livre, puisque Stéphane Przybylski a également rédigé plusieurs ouvrages historiques. De plus, il s’agit du premier volume d’une tétralogie (Origines), donc forcément, ce tome 1 ne peut avoir qu’un rythme relativement lent et de longues phases de présentation des personnages et de l’intrigue.

Autre remarque : je ne fais pas de spoiler, il y a un crash d’OVNI dès la… première page du roman.

Histoire / univers / genre

La première remarque qui vient à l’esprit est le flou qui entoure de nombreux aspects de ce roman : en général, la première chose que je décris dans mes critiques est tout simplement le genre auquel l’histoire racontée appartient : SF ? Fantastique ? Fantasy ? Roman historique ? De plus, j’affine autant que possible, pour que l’amateur de telle ou telle catégorie sache si le livre va correspondre à ses goûts : est-ce de la high fantasy, de l’horreur, du space opera, de l’uchronie, de la hard-SF ? Mais dans ce cas précis, je me retrouve devant un casse-tête : ce roman tient au moins autant, sinon plus, du roman historique que de la SF, et après l’avoir achevé, je suis bien incapable de dire s’il s’agit de « révélations » sur la « véritable » histoire de la seconde guerre mondiale (et beaucoup plus largement, de l’humanité), un peu comme dans La brèche de Christophe Lambert (rien à voir avec l’acteur), ou d’une uchronie comme dans Fatherland de Robert Harris. Il va falloir attendre les tomes suivants pour trancher.

Le souci avec ce livre est que, écrit par un historien, il va sans doute un peu trop relever du roman historique pour celui qui est venu lire de la SF, car il faut bien le dire, ce dernier aspect, sans être non plus minoritaire, s’efface tout de même en partie devant l’immersion du lecteur dans les rouages du pouvoir du Troisième Reich. Et d’ailleurs, le souci sera le même pour l’amateur de romans historiques, qui risque d’avoir beaucoup de mal avec les thèses dignes d’Alien Theory (vous savez, cette émission qui tente de nous expliquer que les pyramides, l’écriture et la civilisation sont un don des gentils Petits Hommes Gris, tout ça à coup d’intervenants aux coiffures improbables) développées dans le roman. A ce sujet, de deux choses l’une : ou vous n’avez jamais lu Effondrement de Jared Diamond, et dans ce cas là, quand Stéphane Przybylski, pourtant historien, vous parle des « mystères » de l’effondrement « brusque » des civilisations Maya ou Anasazi, vous n’allez pas vous tordre de rire, ou vous l’avez lu mais vous êtes comme moi, vous mettez la suspension d’incrédulité sur mode « on » et vous acceptez les postulats de l’auteur (qui d’ailleurs, n’y croit peut-être pas lui-même. Si ça se trouve, tout cela est une énorme dénonciation des thèses de Von Däniken, tout comme le roman semble être une ferme dénonciation du populisme et de l’extrême droite).

C’est pareil, j’ai un peu de mal avec les références de la quatrième de couverture : Indiana Jones, mouais, il y a du proche-orient, des nazis et de l’ésotérisme, pourquoi pas, mais l’humour en moins alors, on ne peut pas dire qu’on rigole souvent dans le roman, pourtant une composante essentielle des films d’Indy. Les puissances de l’invisible de Tim Powers ? Mouais mais non. L’époque n’est pas la même, et on n’est pas sur des puissances occultes mais sur de l’invasion extraterrestre. Non, la référence la plus juste reste tout de même celle de X-files, non seulement à cause des OVNI, mais aussi parce qu’il y a un homme à la cigarette (si, si) et aussi une ambiance complotiste affirmée.

Personnellement, je trouve que tout compte fait, un des livres les plus proches (bien que de loin) est Le bureau des atrocités de Charles Stross, pas à cause de la magie mais à cause des protagonistes, services anglais contre Ahnenerbe (d’ailleurs, si vous vous intéressez à l’occulte nazi -sous son angle historique, pas mystique-, je vous conseille, tout comme l’auteur dans sa biblio, l’excellent mais sidérant Opération Ahnenerbe ; Car oui, tout comme dans un ouvrage historique, et contrairement au roman moyen, il y a une bibliographie à la fin du livre).

La structure

Elle est TRÈS complexe, incontestablement la structure la plus compliquée, la plus ambitieuse que j’ai pu voir dans un livre de SF (c’est encore plus complexe et ambitieux que dans L’usage des armes ou Transition de Banks). Pourquoi ? Comme dans les romans que je viens de citer, il y a une alternance entre des flash-back et des événements se déroulant dans le présent de l’intrigue, les premiers dévoilant peu à peu les motivations du protagoniste (et son histoire) au lecteur. Dans L’Usage des armes, c’est encore plus complexe, puisque les chapitres de flash-back sont dans un ordre anti-chronologique. Ici, la complexité de la narration franchit encore un palier supplémentaire, ou plutôt trois : non seulement on ne parle plus de chapitres mais de paragraphes de flash-back alternant avec des paragraphes dans le présent, mais en plus l’auteur ne s’interdit pas plusieurs… flash-forward (en 1950 et 1958, alors que le gros de l’histoire se passe en 39) et, pour couronner le tout, on peut passer d’une époque à l’autre sans continuité temporelle d’un paragraphe à l’autre ! En clair, un paragraphe peut se passer en 1939, le suivant en 1918, celui d’après en 1939, le suivant en 1923, celui d’après 1950, le suivant à un point quelconque des années 30 avant 1939, puis revenir à 1939 ! Inutile de dire que vous avez intérêt à être 1/ concentré, et 2/ attentif aux dates de début de paragraphe.

Pour autant, est-ce d’une complexité telle que ça va desservir le roman, constituer un frein au fait de l’apprécier ? De mon côté, la réponse est clairement non, j’ai achevé (pardon dévoré) le roman en moins de 24h, preuve qu’on ne sature pas et que ça ne ralentit pas le rythme de lecture. Maintenant, je ne suis pas persuadé que tout le monde va passer l’obstacle aussi facilement (sans me lancer des fleurs), parce que c’est quand-même sacrément exigeant comme structure. Exigeant, mais ambitieux (chapeau à l’auteur, surtout pour… un premier roman), et efficace : en adoptant un maillage très serré de flash-backs (ou forward d’ailleurs), à l’échelle du paragraphe et pas de chapitres entiers, on obtient un éclairage très fin et efficace sur la psychologie et les motivations du personnage principal.

Les personnages

Le protagoniste a vraiment une psychologie très complexe. On est encore au-delà de l’anti-héros, puisqu’en gros, il veut se détacher de ses maîtres nazis non pas tellement parce qu’il n’adhère plus à leurs thèses, non pas parce qu’il ne savait pas et qu’il a découvert le pot-aux-roses (comme dans Fatherland), mais parce qu’il veut son indépendance, faire ce qu’il veut où et quand il le veut sans être contraint par la rigide hiérarchie nazie. En gros, c’est un salopard, un monstre même, mais même pas un salopard au cœur d’or, ni quelqu’un dont les méthodes sont immorales ou illégales mais dont les motivations sont nobles (Dexter).
Chapeau également à l’auteur, qui le place au centre des grands événements du Reich, et même de l’histoire humaine, d’une façon très habile (belle révélation presque-finale).
Les autres personnages imaginaires (ou très inspirés par des équivalents réels, comme Saxhaüser lui-même) sont également riches, subtils et intéressants. Et évidemment, c’est quand-même la grande classe (si j’ose dire) d’avoir Hitler, Himmler, Hess, Heydrich et compagnie comme personnages secondaires. C’est d’ailleurs là que cet étonnant mélange SF (ou uchronie, ou histoire secrète, on ne sait pas) / roman historique devient intéressant.

Le rythme

Evidemment, premier roman d’un cycle oblige, le rythme n’est pas forcément rapide (et c’est d’ailleurs là que les comparaisons avec Indiana Jones et James Bond -pour l’aspect guerre d’espions- sont peu pertinentes, car il y a UNE scène seulement rappelant ce genre de film d’action + occulte ou + espionnage dans le livre). Pourtant, il s’accélère bien dans la seconde moitié du roman, pour finir sur un rythme assez haletant, deux grosses révélations, et un sacré cliffhanger.
Thème connexe, le style est plutôt efficace, aux complexités de la structure près, ça se lit sans mal, avec avidité et plaisir.

La présentation

La couverture, esthétiquement réussie, est aussi parfaitement en rapport avec les thèmes du roman. Bravo à l’artiste, qui a visiblement lu l’ouvrage. Par contre, soit le mien a disparu corps et bien, soit le Belial a abandonné l’introduction systématique d’un marque-page aux armes de la couverture dans ses romans (et si c’est ça, c’est carrément dommage).

Pour conclure : riche, exigeant, parfois flou, mais toujours réussi (d’où mon titre de « flou artistique »), ce roman au carrefour de plusieurs genres sera polarisant, soit vous adorerez, soit vous détesterez, que ce soit la structure et / ou le mélange des genres. En tout cas, c’est un premier roman impressionnant, intéressant, et très prometteur pour la suite. Et puis si vous aimez Alien Theory ou les histoires inspirées par Von Däniken comme Stargate, et que X-Files est la plus grande série de tous les temps selon vous, foncez !

En résumé

Un premier roman très ambitieux, très complexe, peut-être un peu trop d’ailleurs. Son problème est sans doute que, mélangeant les genres, il sera sans doute trop SF pour les amateurs de romans historiques, et probablement beaucoup trop roman historique pour les amateurs de SF. Sans compter qu’on ne sait pas si on est sur une uchronie ou un récit de la véritable histoire, celle qui nous a été cachée. De plus, il faut un minimum adhérer aux thèses de Von Däniken ou être un téléspectateur assidu d’Alien Theory pour pleinement accrocher à l’univers, ou alors posséder une forte propension à la suspension d’incrédulité (selon l’expression consacrée). Enfin, sa structure complexe est exigeante (sans être non plus insurmontable). Pour autant, tout compte fait, il s’agit d’un roman passionnant, impressionnant de maîtrise lorsqu’on sait qu’il s’agit du premier rédigé par l’auteur, un livre qu’on dévore plus qu’on ne le lit et qui vous réserve un suspense in-sou-te-na-ble sur la fin. Bref, à fortement conseiller, mais en ayant une idée claire de ce dans quoi vous vous engagez.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lutin sur Albedo, celle de Xapur, de Dionysos sur le Bibliocosme, de l’Ours inculte, de Baroona,

Ce roman est le premier d’une tétralogie : vous pouvez retrouver sur Le Culte d’Apophis la critique du tome 2, celle du tome 3

19 réflexions sur “Le château des millions d’années – Stéphane Przybylski

  1. Etant en train de lire le second tome je suis tout à fait d’accord avec cette analyse. En fait, c’est très proche du Indiana Jones 4 (l’action et l’humour en moins). Le roman est assez didactique par ailleurs avec des plans ou organigrammes. Personnellement j’aime beaucoup.

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    • Merci et bienvenue sur le blog ! (sympa l’avatar, la couverture du DMG d’Ad&D première édition, me voilà projeté 30 ans en arrière, aaaah ça fait du bien !). Le second tome est sur ma liste de livres à lire (ce cliffhanger insoutenable à la fin du tome 1…), mais bon il y a tellement de choses dessus que ce sera pour mars, minimum. Mais du coup, votre commentaire va me faire paraître le temps long, j’ai hâte de lire ça tiens…

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  2. Il est vrai que le début est un poil déstabilisant, l’opposition réalité historique/ aliens, enfin surtout la qualité historique du roman. Du coup, je pense comme vous que ce mélange de genre peut perturber le lecteur. Sur l’ensemble du contenu je suis entièrement sur la même longueur d’onde. Par contre, la couverture ne m’emballe pas outre mesure.
    J’ai terminé le tome 2 et « critiqué ». J’ai bien aimé.

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  3. J’ai beaucoup aimé aussi, mais c’est vrai que la construction est assez déstabilisante et qu’il faut faire attention à ne pas se perdre dans les multiples époques et références.

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  13. Bonjour
    Je suis moins généreux que vous avec ce roman qui m’a considérablement énervé de par la qualité de son écriture que je trouve, disons-le, nulle. Pour moi c’est niveau lycée !
    Visiblement Belial n’est pas de cet avis. Je ne crois pas avoir atteint les 100 pages, exaspéré par la pauvreté de la syntaxe et des descriptions.
    Bon, malgré tout la sympathie que j’ai pour votre blog, je constate que nos perceptions peuvent parfois différer.
    Bruno

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    • Il est très rare de croiser un critique avec lequel on se trouve en accord 100% du temps. Moi-même, je suis en accord à 99% avec un autre blogueur (FeydRautha, de L’épaule d’Orion), mais même à ce niveau, il arrive évidemment qu’une ou deux fois par an, nos avis divergent concernant une quelconque lecture commune.

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